L’Angélaine : la fin d’une boutique, mais pas d’une passion
BÉCANCOUR. Si Michèle Hamelin et son mari se sont acheté des chèvres en 1980, c’était tout d’abord pour meubler l’espace de leur immense terrain de Sainte-Angèle-de-Laval et pour combler le cœur de leurs enfants, toujours le nez collé à la clôture du voisin qui possédait une de ces bêtes. Cette acquisition qui pourrait paraitre banale est pourtant devenue l’aventure d’une vie pour la propriétaire de l’entreprise L’Angélaine.
En parcourant la province pour en apprendre davantage sur la chèvre, Michèle Hamelin a découvert la chèvre angora et ce fut le coup de foudre. « Elle était de toute beauté avec ses boucles. Comme j’étais une artisane et que j’aimais beaucoup tricoter, je me suis intéressé au mohair, sa fibre laineuse. Je ne savais pas filer, mais je me suis dit que tout s’apprend! », lance Mme Hamelin.
Il n’en fallut pas plus pour que le couple décide de faire l’acquisition de chèvres angoras. Petit hic : impossible d’en acheter dans la province à l’époque, car on ne retrouvait que trois ou quatre spécimens de cette chèvre au Québec! En compagnie d’éleveurs aux mêmes ambitions, le couple a donc fait ses démarches auprès d’éleveurs du Texas, là où on en retrouvait le plus en Amérique.
Michèle Hamelin et son mari possédaient à l’époque un autobus scolaire qu’ils avaient commencé à transformer en véhicule récréatif. Changement de plan! Ils ont finalement poursuivi les modifications, mais pour adapter le véhicule au transport de chèvres. Après un court séjour au Texas afin de récolter un maximum d’informations sur l’élevage de la chèvre angora, le couple a retraversé l’Amérique du Nord à bord d’un autobus scolaire avec comme passagers : 46 chèvres dont huit emménageraient à Sainte-Angèle.
« C’était très agréable! On était fatigué un peu, mais surtout poussiéreux! La paille qu’on avait mise dans le fond de l’autobus avait séché et les chèvres l’ont piétinée pendant les trois jours qu’a duré le voyage! », se rappelle Mme Hamelin. Elle se rappelle aussi les nombreux regards qu’ils ont croisés sur la route du retour!
Petits éleveurs à grands champions
Les choses sont rapidement devenues sérieuses pour Michèle Hamelin qui, avec son élevage, cherchait à toujours améliorer la finesse de sa fibre. « Nous sommes retourné au Texas après quelques années pour aller chercher de boucs élevés en Afrique du Sud, les spécialistes en fibre fine », explique Mme Hamelin. Devenus experts dans leur domaine, ils ont participé à des expositions agricoles pendant 34 ans et ont même remporté deux championnats au Royal Agricultural Winter Fair, soulignant ainsi l’excellence de leur élevage.
L’élevage de L’Angélaine a atteint les 85 chèvres. « On avait commencé ça avec une shed et des rallonges, mais un jour, on s’est rendu à l’évidence qu’il fallait s’installer convenablement. On avait observé le comportement de nos bêtes afin de leur bâtir une chèvrerie quasiment modèle », dit-elle.
En plus de l’élevage, Mme Hamelin transformait la fibre de ses chèvres. Lorsqu’elle a commencé à travailler avec le mohair, c’était encore marginal au Québec. C’est une fibre qui était davantage utilisée en France et en Italie, par exemple. Puis, les élevages se sont multipliés dans la province, ce qui a permis à Michèle Hamelin et son mari de se regrouper avec les autres éleveurs pour obtenir davantage de volume et faire affaire avec une filature.
« Comme mon mari et moi avions le véhicule, on ramassait le mohair des autres éleveurs et on allait à une filature. Parfois c’était à Lachute, parfois à l’Île-du-Prince-Édouard, ou on allait en Ontario pour faire carder dans des installations adaptées à la fibre du mohair. On se promenait sur des centaines et des centaines de kilomètres! Notre fibre a voyagé et on a découvert le pays. On a même dû aller en Pennsylvanie! On allait où était la ressource », raconte Mme Hamelin.
Le mohair, Michèle Hamelin a tout d’abord voulu le vendre en écheveau aux tricoteuses, mais les tricoteuses se faisaient plus rares qu’autrefois. « On dirait que les dames dans les années 80 étaient parties sur le marché du travail. Ça tricotait beaucoup moins! », croit Mme Hamelin. Elle a donc pris la décision de transformer elle-même son produit. Des tuques, des chaussettes, des chandails, des mitaines… « On était renommé pour notre haute couture. On faisait du haut de gamme », précise Mme Hamelin. Bien entendu, elle a engagé des tricoteuses et, de fil en aiguille, l’entreprise a grossi et elle a pu éventuellement acquérir un atelier. À son apogée, plus d’une quarantaine d’employés travaillaient à L’Angélaine.
« Avant que le tricot redevienne à la mode, on était pas mal unique avec nos produits. Quand on s’est mis à faire des chaussettes thermales, ça a été un bon coup. On avait demandé à Bernard Voyer s’il pouvait les tester dans ses expéditions. En revenant, il nous a dit : je ne pars pas au pôle Sud sans vos chaussettes! Ça nous a donné un beau sceau de qualité et d’endurance, et il en parlait dans ses conférences! », partage-t-elle, reconnaissante.
« On a réalisé que les bas duraient longtemps, car le mohair est une fibre très résistante, chaude et antibactérienne, assure-t-elle. Je ne jure que par cette fibre-là! » D’ailleurs, Michèle Hamelin a testé d’autres fibres, comme l’alpaga, la laine et le bambou, lorsque, par malheur, leur filature a été incendiée alors que leur commande était entièrement filée. « La perte de notre filature nous a permis d’explorer autre chose, mais on revenait tout le temps à notre mohair. Ça nous a confirmé qu’on avait fait le bon choix! », assure-t-elle.
La fin de 43 ans d’aventure
Malgré la flamme qui brûle toujours dans le cœur de Michèle Hamelin, elle a dû prendre la difficile décision de cesser les activités de L’Angélaine, puisque l’entreprise n’est plus rentable.
Après sa séparation, comme elle ne pouvait pas s’occuper à la fois d’un élevage et de la production en atelier, elle a cessé l’élevage et a commencé à acheter sa fibre d’autres éleveurs. Au fil des années, les élevages se sont raréfiés au Québec, ce qui l’a obligée à se tourner, par la suite, vers l’Afrique du Sud, où la production se raréfie à son tour, engendrant une hausse faramineuse des coûts.
Même si c’est la fin de l’aventure pour Mme Hamelin, ça ne l’est pas nécessairement pour L’Angélaine. L’entreprise existe encore et pourrait être vendue à quelqu’un qui souhaiterait démarrer un projet qui répond aux standards de qualité de L’Angélaine…
Maintenant que l’heure de la retraite a sonné, Michèle Hamelin souhaite assouvir sa passion des voyages, ce qu’elle n’a pas pu faire autant qu’elle ne l’aurait voulu depuis qu’elle possède le commerce. Ses deux premières destinations : l’Afrique du Sud, là où se retrouvent le plus grand nombre d’éleveurs de chèvres angoras, et la Turquie, d’où est originaire cette même chèvre. Comme quoi la passion est loin d’être éteinte!
Pour le moment, il est encore temps de visiter la boutique L’Angélaine, située à Sainte-Angèle-de-Laval, avant que la boutique ne ferme définitivement ses portes le 31 mai prochain. D’ailleurs, depuis l’annonce de la fermeture, sa fidèle clientèle est encore au poste. « Elle m’apporte de la chaleur humaine et me dit combien elle a apprécié L’Angélaine. Ça me fait faire mon deuil, et je ne croyais jamais que ça se ferait, parce que j’ai eu beaucoup de douleur à prendre cette décision. Les témoignages de mes fidèles clients me réconfortent. C’est comme fermer une porte tout doucement, simplement », conclut-elle.