ABI: enfin, la lumière est au bout du tunnel
LETTRE OUVERTE – Après avoir rencontré les parties patronale et syndicale tant localement qu’au siège social d’Alcoa à Pittsburg, le ministre du travail Jean Boulet a annoncé la reprise des négociations.
Les parties seront alors guidées par un Conseil de médiation formé des médiateurs déjà au dossier auxquels s’ajoute la sous-ministre du travail Mélanie Hillinger. La table est mise pour une dernière ronde de négociation avec, cette fois-ci, la date butoir du 30 novembre 2018.
À défaut d’entente, le Conseil de médiation précité disposera d’une semaine pour préparer une hypothèse de règlement et la présenter au Ministre du travail au plus tard le 7 décembre 2018. Dès lors, les conditions de travail et la fin du lockout pourraient être décrétées par le Gouvernement du Québec.
Les relations de travail à l’Aluminerie de Bécancour traversent une crise de confiance qui affecte le potentiel de réussite de la négociation. C’est comme si la durée du conflit avait eu chez ABI, l’effet d’accroître la controverse. Mais la voix ministérielle leur demande de s’entendre. Si le ministre Boulet leur tend la main, il fait du même geste, pointer à l’horizon le recours à l’arbitrage à défaut d’entente dans un délai très court.
Ce conflit de travail soulève des questions de fond et laissera certainement des traces durables. D’abord, il pose la question de la pertinence du lockout. Est-il opportun de permettre le lockout sous prétexte qu’il est l’équivalent du droit de grève, ce que plusieurs considèrent faux comme prémisse.
Ensuite, cette idée d’imposer les conditions de travail fait partie, dans une certaine mesure, de nos habitudes en relations de travail. Par exemple, l’arbitrage s’impose d’emblée pour les policiers et les pompiers et il fut utilisé abondamment dans les services publics sous l’angle de lois spéciales de retour au travail. En clair, plus un arrêt de travail perturbe le fonctionnement de la société, plus l’idée de le faire cesser en imposant des conditions de travail convenables se justifie moralement.
Finalement, dans le lockout ABI, la contrainte principale est la suivante : si la négociation ne donne pas lieu à une entente d’ici le 30 novembre 2018, quelles conditions de travail feront partie de l’hypothèse de règlement devant être déposée au plus tard le 7 décembre 2018 ? Suite à un tel dépôt, les conditions de travail précitées feront logiquement l’objet d’un décret.
Lors du déclenchement du lockout en janvier 2018, les négociations achoppaient sur le financement du régime de retraite et le respect de l’ancienneté dans les mouvements de main-d’œuvre. Mais depuis, l’employeur a apparemment introduit un complexe enjeu d’organisation du travail qu’il lie au caractère compétitif de son usine dans un monde industriel en changement.
Si la rénovation du fonds de retraite et la mesure de la compétence dans les promotions fait partie des enjeux classiques de négociation, l’organisation du travail s’avère d’un solutionnaire plus complexe car il réfère à un modèle de production industriel qui détermine à son tour le niveau des emplois et le mode de gestion.
C’est là qu’il sera, pour un arbitre, délicat de trancher face à un syndicat et un employeur qui ne semblent pas disposés à recourir à l’arbitrage ou qui du moins, ne l’ont pas demandé même après un pénible arrêt de travail de dix mois.
En outre, c’est le premier test d’impartialité du Ministre Boulet dont l’expérience se limite essentiellement au monde patronal. Mais un arbitrage réussi est susceptible d’induire des emplois de qualité et d’optimiser la productivité. En soi, cela justifie de lui donner une chance !
Jean-Claude Bernatchez
Professeur titulaire en relations de travail à l’Université du Québec à Trois-Rivières