Les Abénakis remportent une bataille historique
JUSTICE. La discrimination fondée sur le sexe dont les Indiennes et leurs descendants ont été victimes dans le passé concernant le droit à l’inscription (« le statut d’Indien ») se perpétue encore de nos jours et doit cesser, a tranché la Cour supérieure du Québec dans un jugement rendu, le 3 août, à Montréal.
La juge Chantal Masse a donné 18 mois au gouvernement fédéral pour corriger les dispositions pertinentes concernant le droit à l’inscription dans la Loi sur les Indiens avant qu’elles ne soient déclarées inopérantes pour violation injustifiée du droit à l’égalité garanti par l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
«Il faut réitérer que la situation perdure depuis maintenant un peu plus de 30 ans sans qu’une solution complète y ait été apportée» a-t-elle notamment écrit.
Les deux communautés de la nation abénaquise, d’Odanak et de Wôlinak, avaient saisi le tribunal de deux cas distincts de discrimination vécus par leurs membres et que le gouvernement doit maintenant corriger.
À commencer par le cas de Susan Yantha, une femme inscrite, qui était née hors mariage avant 1985 d’un père indien et d’une mère non indienne, et qui ne peut pas transmettre le statut à ses enfants. Toutefois, le fils né d’une telle union aurait des enfants ayant droit à l’inscription.
Il y a aussi le cas de Stéphane Descheneaux, un individu inscrit qui était né d’un mariage formé avant 1985. S’il doit son inscription à une grand-mère indienne ayant marié un non-Indien, il ne peut transmettre le statut à ses enfants. Toutefois, si l’individu devait son inscription à un grand-père indien ayant marié une non-Autochtone, il aurait des enfants ayant droit à l’inscription.
Rappelons qu’avant 1985, les Indiennes perdaient leur statut si elles mariaient un homme sans statut d’Indien et leurs enfants n’avaient pas droit à l’inscription au registre des Indiens.
En 1985, la Loi sur les Indiens a été modifiée pour redonner le statut aux femmes qui l’avaient perdu et pour le conférer à leurs enfants. Toutefois, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a décidé en 2009 dans l’arrêt McIvor qu’une discrimination persistante privait les petits-enfants de ces femmes du statut d’Indiens. En 2010, la Loi sur les Indiens a donc été modifiée à nouveau.
«Nous avions prévenu le gouvernement en commission parlementaire, en 2010, que son projet de loi ne réglerait pas tous les cas de discrimination fondées sur le sexe et maintenant nous en avons la confirmation», affirme le Chef Denis Landry de Wôlinak.
Selon la juge Masse, le gouvernement avait omis de considérer les implications plus larges de l’arrêt McIvor, «en restreignant la portée de celles-ci à leur strict minimum», obligeant ainsi les Abénakis à débattre à nouveau de situations discriminatoires connexes.
Le gouvernement dispose d’un délai de 30 jours pour en appeler à la Cour d’appel du Québec.
«Plutôt que de porter cette décision en appel, le gouvernement fédéral devrait maintenant travailler avec les Premières Nations afin de mettre fin à la discrimination qu’il a créée», soutient Denis Landry.
Il s’agit d’une cause cruciale pour l’avenir de cette nation autochtone, puisqu’un expert en démographie a évalué que, si cette règle demeure, le nombre d’Abénakis inscrits au Registre des Indiens aura diminué de moitié avant 50 ans, et qu’il n’y aura plus de descendants d’ici un siècle, et ce même si on dénombre actuellement 3 000 membres issus des communautés de Wôlinak et d’Odanak.