Identité autochtone: le ministre de l’Emploi, Randy Boissonnault, quitte le cabinet

OTTAWA — La pression était trop forte. Attaqué de toutes parts en raison de controverses, notamment à propos de son ascendance autochtone, le ministre de l’Emploi, Randy Boissonnault, a pris, mercredi, la porte du cabinet de Justin Trudeau.

«Le premier ministre et le député Randy Boissonnault ont convenu que M. Boissonnault se retirerait du Conseil des ministres à compter de maintenant. M. Boissonnault se concentrera à faire la lumière sur les allégations à son encontre», peut-on lire dans la déclaration transmise par le bureau de M. Trudeau.

M. Boissonnault est particulièrement dans l’embarras depuis que le «National Post» a révélé qu’une entreprise dont il était copropriétaire avait postulé pour des contrats gouvernementaux tout en prétendant être une société autochtone.

M. Boissonnault a été décrit comme autochtone à plusieurs reprises dans les communications du Parti libéral. En 2018, lors d’une réunion du comité du patrimoine, il s’est décrit comme un «Cri adopté sans statut de l’Alberta», ajoutant que son arrière-grand-mère était une «femme crie de pure souche» — une déclaration qu’il a répétée à d’autres occasions.

Il est récemment revenu sur ces commentaires et a indiqué que les membres de sa famille appartiennent à la nation métisse de l’Alberta. Il s’est excusé, affirmant ne pas avoir été «aussi clair (qu’il aurait) pu l’être sur qui (il est) et l’histoire de (sa) famille», ajoutant qu’il apprenait sur son héritage familial «en temps réel».

Les conservateurs reprochent aussi qu’il a continué à travailler pour son entreprise alors qu’il était ministre, ce que M. Boissonnault nie.

«Museler» ses députés

Bien que le courriel ait été transmis dix minutes avant une période des questions qui s’annonçait particulièrement houleuse, la nouvelle a rebondi en un rien de temps dans la Chambre des communes.

Le chef conservateur Pierre Poilievre a fustigé le premier ministre pour avoir «congédié (l’ancienne ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould) une vraie femme autochtone pour avoir dit la vérité lorsqu’il a supporté un faux ministre autochtone qui a dit des faussetés».

M. Trudeau n’y est pas allé de main morte, reprochant en retour et à maintes reprises à son adversaire de «museler» ses députés, référant à mots couverts à une enquête de Radio-Canada publiée le matin même qui révélait que «ceux qui refusent de faire les perroquets perdent leur temps de parole».

«Il les empêche de parler aux journalistes, il les empêche de parler dans des comités. La réalité est qu’il a peur de ce qu’ils pourraient dire de lui», a envoyé M. Trudeau.

Piqué au vif, M. Poilievre a rétorqué que «cela vient d’un premier ministre qui a 20 députés de son caucus qui ont signé une lettre voulant qu’ils sont prêts à le congédier».

La réplique, comme dans un jeu de ping-pong, ne s’est pas fait attendre. «Il vient de démontrer très clairement que les députés de ce côté-ci de la Chambre sont libres d’exprimer leur opinion», a rétorqué M. Trudeau.

Les conservateurs ont alors fait tellement de chahut que le premier ministre a dû cesser de parler pendant près d’une minute tant c’était inaudible.

«À l’ordre! À l’ordre! S’il vous plaît, contrôlez-vous s’il vous plaît», a imploré le président de la Chambre, Greg Fergus.

Son tour venu, le chef du Bloc québécois a saisi la balle au bond. «À chaque jour, cette chambre démontre au Québec pourquoi il faut vraiment sacrer notre camp de là», a dit Yves-François Blanchet.

Après la partie, M. Blanchet a jugé devant les journalistes que «ce qui s’est produit est ce qui devait se produire».

«Un gouvernement dont le bénéfice du doute ou la confiance sont déjà gravement ébranlés ne pouvait pas garder une pareille distraction avec possiblement d’aussi épouvantables erreurs au sein du conseil des ministres», a-t-il dit.

Une situation «intenable»

Quelques minutes plus tôt, dans les couloirs du Parlement, alors que la nouvelle se répandait comme une traînée de poudre, le président du caucus autochtone des libéraux, Jaime Battiste, a été informé en pleine mêlée de presse de ce qui venait d’arriver au ministre qu’il défendait jusqu’alors.

«Il y a des décisions difficiles que le premier ministre doit prendre et c’est sa prérogative de les prendre en fonction d’un certain nombre de facteurs», a-t-il alors déclaré.

Le ministre du Travail, Steven MacKinnon, a réaffirmé qu’il «apprécie beaucoup» M. Boissonnault, mais qu’il n’en sait pas plus sur la décision.

Pour le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique (NPD), Alexandre Boulerice, la situation était devenue «intenable».

«Il était à peu près temps, a-t-il affirmé. Il ne pouvait plus rester dans le cabinet avec ces scandales-là, mais ça vient démontrer deux choses. C’est-à-dire que les libéraux sont encore pris dans leurs propres scandales internes, leurs propres chicanes puis ils ne peuvent pas avoir l’esprit à gouverner.»

C’est la ministre des Anciens Combattants, Ginette Petitpas Taylor, qui assumera temporairement les fonctions de M. Boissonnault, soit celles de ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles.

«Imposteur, fraudeur, corrompu»

Les troupes de Pierre Poilievre avaient passé presque toute la période des questions de lundi et mardi à demander la démission de M. Boissonnault. Ils l’ont notamment traité d’imposteur, de fraudeur et de corrompu.

«Des réflexions profondes sont nécessaires de la part du premier ministre et du caucus libéral sur pourquoi M. Boissonnault a la permission de rester au cabinet et, je dirais même, au sein de leur caucus», prévenait plus tôt en journée mercredi Michael Barrett en se rendant à une réunion des troupes conservatrices.

Avant l’annonce, le député libéral d’arrière-ban Ken Hardie estimait que M. Boissonnault devait s’expliquer publiquement, ce qu’il n’a, selon lui, pas assez fait jusqu’à présent. «Je pense qu’il doit sortir et dire à tout le monde ce qu’il sait, ce qu’il a fait», a dit l’élu britanno-colombien.

Selon lui, les réponses succinctes jusqu’ici données en période des questions par le ministre Boissonnault ne suffisent pas. À son avis, M. Boissonnault est visé par une sorte de lynchage de la part des conservateurs et mettre en lumière les faits serait «le meilleur désinfectant» contre cela.

Tandis que des libéraux, dont le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault, affirmaient que M. Boissonnault devrait rester au cabinet, d’autres avaient rapidement tourné les talons quand des journalistes tentaient de les questionner à ce sujet.

Plusieurs ont aussi répondu que la question de savoir s’il méritait toujours sa place au cabinet devrait s’adresser au premier ministre Justin Trudeau.

M. Trudeau jugeait mardi encore que le ministre avait répondu aux questions sur son identité.

– Avec des informations d’Émilie Bergeron