Francisation : une situation mitigée et un besoin considérable
NICOLET-BÉCANCOUR. Entre le manque de clarté concernant les cours au Centre de services scolaire de la Riveraine et l’augmentation d’inscriptions auprès de l’organisme communautaire PAIS, la francisation sur la rive sud avance à deux vitesses, à l’image de deux modes de financement gouvernementaux derrière ce service essentiel pour les nouveaux arrivants au Québec.
À la suite de dernières mesures gouvernementales concernant le programme de francisation, plusieurs enseignants à travers la province ont perdu leurs classes. Par conséquent, des centaines d’étudiants n’ont plus accès à un élément primordial dans leur intégration au sein de la société québécoise.
« La Charte de la langue française prévoit notamment que toute personne domiciliée au Québec a droit à des services d’apprentissage du français », selon Francisation Québec – sous la responsabilité du MIFI – qui est devenu en 2023, l’unique point d’accès gouvernemental pour les services d’apprentissage du français.
Nicolet et Bécancour, deux sorts différents
Le Centre d’éducation des adultes, à Nicolet, a été obligé de réaffecter neuf de ses enseignants à cause de la réduction des heures de francisation. Deux autres enseignants de cet établissement du CSS de la Riveraine ont perdu leur emploi.
Marie-Lyne Belleville est l’une de ces enseignantes concernées par ces coupures. Toutefois, sa direction lui a trouvé d’autres tâches pour continuer à honorer son contrat.
« On offre ici seulement des cours à temps partiel, avec un maximum de 18 heures par semaine. À la suite de ces dernières annonces, on a réduit le nombre de groupes et d’heures. Donc moi, je me retrouve avec 9 heures au lieu de 18 », indique Marie-Lyne Belleville.
Quelques jours avant la fin de la session d’automne, l’ambiguïté caractérise la suite de la francisation dans cet établissement.
« Le dernier cours serait le 28 novembre et on ne sait pas ce qui pourrait se passer après. Nos 111 élèves n’ont tout simplement pas un plan B, parce qu’il n’y a pas d’autres services de francisation dans Nicolet-Yamaska », mentionne Mme Belleville.
De son côté, l’organisme Projet d’Accueil et d’Intégration Solidaire (PAIS) couvre seulement le territoire de la MRC de Bécancour. PAIS offre différents services, dans le cadre de sa mission, mais aussi un programme de francisation depuis 2016, en collaboration avec le MIFI.
« Actuellement, nous avons cinq groupes dans lesquels nous offrons des cours de francisation à 47 participants. Ce sont des cours de six, huit ou douze heures par semaine, cela varie selon les besoins des étudiants », déclare Céline Auger, directrice du PAIS.
« Des personnes qui prenaient des cours à temps complet nous ont contactés étant donné que ces cours ne sont plus possibles ailleurs », ajoute la directrice de l’organisme.
Elle constate une augmentation des demandes d’inscription de la part des travailleurs. « Cependant, notre enjeu est d’arriver à former des groupes – minimum six personnes -, et ce n’est pas souvent évident avec des horaires variables de ces travailleurs ».
« Ceux qui travaillent dans les RPA sont les plus difficiles à joindre, avec des horaires souvent très variables », estime Mme Auger.
Financement annuel et achat de groupes
L’organisme PAIS, qui a comme mission d’accueillir et d’intégrer les personnes immigrantes dans la MRC de Bécancour, bénéficie d’un mode de financement particulier.
« À Bécancour, on offre ce qu’on appelle un achat de groupes et on est payé selon le nombre de groupes qu’on demande. C’est un type de francisation différent de ce qu’on trouve dans les CSS. C’est pour ça qu’on n’est pas impacté par tout ce qu’on entend dernièrement concernant les coupures liées aux budgets », explique Céline Auger.
Le PAIS fait partie d’une dizaine d’organismes communautaires offrant de la francisation dans la province ayant droit à ce type de subvention. Ce dernier concerne uniquement les cours à temps partiel.
Quant aux centres de services scolaires, ils ont appris en juin dernier que leurs budgets de francisation seront faits selon l’Équivalent Temps Plein (ETP) – un ETP vaut 900 heures -. Ces nouvelles mesures prévoient que le financement pour l’année 2024-2025 sera octroyé en fonction de leur ETP de 2020-2021 et 2021-2022.
« Nous n’avions aucune classe de francisation à l’époque, donc nos ETP sont à 0. C’est comme si on n’avait pas le droit de commencer l’année. En plus, s’ils se basent encore sur les données de 2020-2021, nous allons avoir zéro dollar l’année prochaine », avance Marie-Lyne Belleville.
« Le directeur général de la commission scolaire, Pascal Blondin, demande que le calcul soit fait à la base des 11 ETP de l’année passée, le moment où on commençait à offrir de la francisation », indique l’enseignante.
Selon Marie-Lyne Belleville, la différence entre achat de groupes et ETP, c’est que pour le premier, on parle des formateurs qui n’ont pas besoin d’un diplôme pour donner des cours, contrairement aux enseignants formés dans le deuxième modèle.
« Les formateurs coûtent moins cher au gouvernement que les enseignants. Je ne sais pas à quel point ce facteur monétaire détermine le fonctionnement de la francisation au Québec », ajoute-t-elle.
« La francisation, ce n’est pas juste apprendre le français »
Les enseignants de la francisation à la Riveraine demandent au gouvernement de revenir sur sa décision.
« On offre un service essentiel. C’est dangereux si la personne n’est pas capable de s’exprimer à l’hôpital ou avec les enseignants de ses enfants. Encore pire s’il s’agit d’une situation d’urgence », estime Marie-Lyne Belleville.
Céline Auger, la directrice du PAIS, indique que pour l’année prochaine, son organisme « a reçu plusieurs appels pour faire le suivi de ce qui circule dernièrement, au-delà de la francisation, comme information sur les changements d’exigence linguistique ou d’immigration ».
« Notre approche est différente; on suit le programme du Ministère, mais on a le souci d’intégrer les participants dans la communauté », admet Mme Auger.
L’organisme veut développer des projets mettant les participants au centre de la vie communautaire. « On vérifie avec le MIFI un projet pilote dans lequel on propose à nos étudiants une implication communautaire dans un organisme local, deux heures par semaine, selon leurs intérêts », mentionne la directrice du PAIS.
L’organisme gère une halte-garderie où une éducatrice s’occupe des enfants pendant que leurs parents suivent des cours. PAIS s’est doté aussi d’un mini-van pour être capable d’aller chercher des personnes qui n’ont pas un moyen de transport.
« Une de nos classes a visité dernièrement un CHSLD et les étudiants ont cuisiné avec les résidents. Par la suite, on a été contacté par d’autres CHSLD qui voulaient que nos participants organisent des activités avec leurs résidents », conclut-elle.