LeBel qualifie de «moyen de pression» le retrait de la RAMQ par les optométristes

MONTRÉAL — La majorité des optométristes du Québec se retireront de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) à compter du 22 novembre, ce qui fait en sorte que les patients couverts par le régime public devront payer pour obtenir les services.

L’Association des optométristes du Québec (AOQ) a annoncé mercredi matin que 85 % de ses membres ont décidé de se retirer de la RAMQ en raison de l’«impasse» dans les négociations entourant la compensation qui leur est versée par Québec.

Selon le président de l’AOQ, le Dr Guillaume Fortin, les frais d’exploitation des optométristes ont augmenté trois fois plus vite que les tarifs à l’acte consentis par le ministère de la Santé.

La présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, a qualifié le geste de l’AOQ de moyen de pression. En mêlée de presse, mercredi, elle a souligné que cette annonce s’inscrit dans le contexte des négociations visant à renouveler l’entente échue depuis 2020. «Ce qu’ils nous annoncent par rapport à se désaffilier aux tarifs en optométrie pour les optométristes privés, il faut comprendre que c’est un moyen de pression qui est mis de l’avant par l’Association. C’est sûr que c’est préoccupant parce qu’on parle des personnes vulnérables et j’aimerais rappeler à tous les optométristes qu’ils sont quand même membres d’un ordre professionnel où la protection du public est au cœur de leur mission», a déclaré Mme LeBel.

Elle estime que les offres du gouvernement sont raisonnables et que les deux parties arriveront à un accord, «j’en suis certaine», a-t-elle dit.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a aussi interprété l’annonce de l’AOQ comme un moyen de pression. «Ils ne sont pas encore retirés de la RAMQ. Je vais les laisser penser à leurs moyens, mais de mon côté, les négociateurs vont continuer à travailler. Ils n’ont pas menacé de le faire demain, ils ont menacé de le faire au mois de novembre. Alors je pense que ça fait partie des moyens de pression et on va laisser les négociations suivre leur cours», a-t-il dit en mêlée en presse.

De son côté, l’AOQ a dénoncé que les négociations «n’avancent pas».

Dr Fortin a expliqué que les services d’optométrie vont demeurer disponibles, mais la population présentement couverte par le régime public devra payer, à partir du 22 novembre, pour obtenir les services, «ce que nous regrettons», a-t-il dit.

En entrevue, Dr Fortin a donné plus de détails sur le mécontentement des membres. «Il y a énormément de nos optométristes qui nous soufflent dans le dos depuis longtemps pour qu’on sorte de la RAMQ parce que c’est toujours extrêmement difficile de faire reconnaître la portion  »frais de bureau » qui est assumée par les optométristes», a-t-il partagé.

Dr Fortin a tout de même espoir d’en arriver à une entente avec Québec. «La balle est définitivement dans le camp du gouvernement. On a encore des rencontres de prévues, la table n’est pas brisée. Qu’il considère ça comme un moyen de pression ou pas, dans un mois, s’il n’y a pas d’entente, 85 % des optométristes vont devenir non participants [à la RAMQ]», a-t-il rappelé.

Advenant une entente avec le gouvernement, Dr Fortin estime que «probablement qu’une bonne partie des optométristes» redeviendraient affiliées avec la RAMQ.

Une marge de rémunération de 3,50 $ au public

Les professionnels de la santé qui sont payés à l’acte peuvent devenir non-participants à la RAMQ. La procédure prévoit que les professionnels le signifient à l’État et 30 jours plus tard, ils le deviennent. «C’est une décision qui appartient aux membres de se retirer de la RAMQ et dans le moment, on a 85 % de nos membres qui nous ont signifié cette intention. Comme association on se fait leur porte-voix», a déclaré Dr Fortin.

Toutes les cliniques d’optométrie sont privées au Québec. «C’est une réalité qui est propre à nous. L’État offre des services sous le chapeau de la RAMQ dans nos cliniques privées», a expliqué le président de l’AOQ. Il a indiqué que l’État québécois va donner un montant de 62 $ en moyenne par visite, citant une étude conjointe.

«Le problème qu’on a en ce moment, c’est que nous, en frais de bureau et clinique, cette visite pour laquelle on reçoit en moyenne 62 $ nous coûte environ 58,50 $. Donc, il reste une marge de 3,50 $ qui est pour la rémunération personnelle de l’optométriste qui rend le service», dénonce Dr Fortin.

Les personnes âgées de moins de 18 ans et celles âgées de 65 ans ou plus peuvent bénéficier gratuitement des services optométriques couverts par le régime public, tout comme les prestataires de la sécurité du revenu. Le régime public couvre habituellement un examen de la vue par année, entre autres.

Selon l’AOQ, qui compte 1500 membres, les clientèles couvertes par le régime public représentent 55 % des patients des optométristes, «une proportion en croissance».

«Les patients de 18 à 64 ans, eux, paient leur examen de la vue, qui n’est pas couvert par l’assurance maladie. Lorsqu’une optométriste rend les mêmes services à un patient de 64 ans qu’à un patient de 65 ans, au lieu d’avoir une rémunération personnelle de 3,50 $, elles vont avoir autour de 46 $ en rémunération personnelle de cette visite», a détaillé Dr Fortin. Son association souhaite une marge de rémunération similaire au public.

Les oppositions s’inquiètent pour le public

Le porte-parole de Québec solidaire en matière de santé, Vincent Marissal, s’est inquiété des répercussions sur la population. «Je veux que le gouvernement protège la population. […] Les gens ont des yeux, les gens ont besoin de se faire soigner les yeux. C’est la responsabilité du gouvernement d’arriver avec une entente», a-t-il déclaré.

Le porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé, André Fortin, avait un ton ferme alors qu’il s’adressait à l’AOQ et au gouvernement. «Entendez-vous s’il vous plaît», a-t-il lâché en point presse à l’Assemblée nationale.

«Parce que ça, c’est un service direct à la population, c’est un service direct pour lequel les Québécois ne devraient pas avoir à payer et si le gouvernement est incapable de s’entendre, si ces services ne sont pas remboursés par la Régie de l’assurance maladie du Québec, il va y avoir un impact sur la santé des Québécois», a-t-il prédit.

Joël Arseneault, porte-parole du Parti québécois en santé, a abondé dans le même sens que ses collègues des oppositions en soulignant que c’est la population qui subirait les effets négatifs de l’impasse. «Ce n’est pas la première fois que ça arrive et ce sont les citoyens les plus vulnérables qui sont pris en otage dans ce bras de fer entre le gouvernement et les optométristes», a-t-il déclaré.

Il a ajouté qu’il était «inacceptable» que les deux parties n’arrivent pas à s’entendre et que cela avait pour effet de faire «planer une anxiété et un stress sur ces clientèles et ces usagers, et qui est, pour beaucoup, insupportable».

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