Protection du français: Ottawa accusé de se traîner les pieds

PARIS — Alors que le premier ministre Justin Trudeau s’envole pour la France à l’occasion du Sommet de la Francophonie, les oppositions accusent son gouvernement de traîner à déposer les décrets et règlements permettant à la version modernisée de la Loi sur les langues officielles – adoptée en juin 2023 – d’entrer en vigueur.

«Lorsqu’on a la volonté, l’intention, on accélère le processus. (…) Ça démontre que ce gouvernement-là se fout du fait français au Canada, de la langue française et (de son) déclin, et qu’il n’est pas cohérent avec son discours public», a affirmé le porte-parole conservateur en matière de langues officielles, Joël Godin, en entrevue avec La Presse Canadienne.

Jusqu’à trois règlements et neuf décrets sont attendus. Ce sont «des choses fondamentales», a insisté le député conservateur.

L’un de ces règlements permettra de déterminer quelles sont les fameuses «régions à forte présence francophone» où, en plus du Québec, il sera possible de travailler et d’être servi en français dans les entreprises privées de compétence fédérale. Un autre précisera les amendes que pourront se voir imposer celles qui ne se conforment pas.

Au moment où la loi modernisée a obtenu la sanction royale, la ministre des Langues officielles de l’époque, Ginette Petitpas Taylor, avait déclaré aux journalistes qu’il faudra attendre environ deux ans avant d’en connaître la teneur.

Dans un premier temps, un porte-parole de son successeur, Randy Boissonneault, a refusé mercredi de confirmer que l’échéancier initial sera respecté, ni celui plus précis de 18 mois convenu avec la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA).

«Dès que les étapes obligatoires du développement des différents règlements seront conclues, ils seront déposés au Parlement», a déclaré l’attaché de presse Mathis Denis. Il a précisé que des «préconsultations» ont eu lieu «ce printemps», que la rédaction des règlements est «en cours» et que le gouvernement veut «bien faire les choses».

Une source gouvernementale, qui était informée des craintes des politiciens d’opposition et de l’organisme qui représente les francophones hors Québec, a cependant, sous condition d’anonymat, affirmé que les fonctionnaires qui travaillent sur le dossier estiment qu’un dépôt pourrait avoir lieu en décembre.

La présidente de la FCFA, Liliane Roy, qui accompagne la délégation du premier ministre au Sommet de la Francophonie, a déclaré qu’il n’est «pas normal» que cela prenne des années pour connaître les règlements et décrets.

«Nous, on était d’accord avec ce qu’on entendait dire, les 18 mois. Nous, on disait “ok” avec tous les éléments qu’il y avait à faire, mais pas plus. Mais là, ce qu’on nous dit, c’est qu’on ne sait pas trop quand le 18 mois a commencé», déplore Mme Roy.

Et alors que le temps qu’il reste au gouvernement libéral est plus qu’incertain, sa crainte est «que tout le travail qui a été fait va être à refaire», a-t-elle dit.

Mme Roy a cependant salué le dévoilement d’une politique fédérale sur l’immigration francophone qui présente «des mesures concrètes» pour les communautés, y compris la mise en place d’un programme d’immigration économique. «Ça, c’est une retombée directe de la nouvelle loi», a-t-elle lancé.

Mais en ce qui concerne le manque de volonté général des libéraux pour protéger le français, tant le porte-parole bloquiste en matière de Francophonie internationale, René Villemure, que la porte-parole néo-démocrate en matière de langues officielles, Niki Ashton, ont dit être sur la même longueur d’onde que le conservateur Joël Godin.

«Le gouvernement fédéral dans plusieurs domaines, c’est un gouvernement d’annonces. On annonce des projets qui n’ont pas de suite ou une loi est adoptée, mais n’est pas mise en œuvre», a mentionné M. Villemure.

Il a dit souhaiter que la participation de M. Trudeau au sommet lui soit «bénéfique» et que ça lui donne «des petits coups de pouce», bien qu’il n’y compte pas trop.

Pour Mme Ashton, le délai de mise en œuvre de la loi est tout simplement «inacceptable».

«Les libéraux voulaient pouvoir cocher la promesse électorale (d’adopter la modernisation de la loi), mais ne pas faire le vrai travail qu’il faut pour l’implémentation (…) ainsi que le financement», a-t-elle soutenu.

Elle aussi craint l’échéance électorale et l’arrivée, si les sondages disent vrai, d’un gouvernement majoritaire conservateur à Ottawa dirigé par Pierre Poilievre. «On verra le même manque de respect, la même négligence, envers la protection du français qu’on a vu pendant les années Harper», a-t-elle insisté.

Mme Ashton redoute les compressions pour soutenir les langues officielles et les coupes chez le diffuseur public Radio-Canada/CBC, notamment.