L’itinérance, pas que l’affaire des grandes villes

CENTRE-DU-QUÉBEC. Tous les intervenants en travail de rue ou en hébergement d’urgence vous diront qu’ils ont remarqué sur le terrain ce que les chiffres du CIUSSS confirment: l’itinérance a augmenté au cours des dernières années en Mauricie/Centre-du-Québec. Le dénombrement de 2022 montre une hausse de 21% du nombre de personnes en situation d’itinérance dans la région par rapport à 2018.

Le constat qui frappe à la grandeur de la province, c’est que l’itinérance ne concerne plus seulement Montréal et prend de plus en plus de place dans les régions.

À cet égard, l’augmentation de 21% sur quatre ans ne révélerait qu’une partie de la réalité des dix dernières années. « Il y en a beaucoup et le portrait a changé: ça touche plus M. et Mme Tout-le-Monde. Plus personne n’est à l’abri de ça avec la hausse du coût des loyers, de l’épicerie, de l’essence. On a des travailleurs qui se retrouvent à la rue », souligne Martin Fiset, qui agit comme travailleur de rue chez Point de rue à Trois-Rivières et Nicolet.

L’augmentation de l’itinérance qu’on a pu attribuer en partie à la pandémie ne s’est pas estompée après cette période. « Ce n’était déjà pas beau il y a quelques années, avant la COVID, maintenant ç’a vraiment augmenté, selon la directrice de LaRue Bécancour, Sarah Jacques. La pandémie a eu un impact, mais ce n’est le seul facteur. »

Dans un tel contexte, le directeur général adjoint de Point de rue, Pierre-Olivier Gravel, croit qu’il faut revoir les actions. « C’est important que les gens se mobilisent. On observe une augmentation du phénomène, donc on ne peut pas se contenter de faire ce qu’on a toujours fait. On va essayer de développer davantage de services pour répondre aux besoins, puis faire face à ce qu’on considère comme une crise en itinérance. »

La crise du logement complique les choses

Si l’itinérance est souvent le reflet d’autres problèmes comme l’alcoolisme ou la toxicomanie.  La crise du logement, bien réelle sur le terrain, envenime la situation et fait parfois basculer quelqu’un de fragile vers la rue.

« Le coût des logements, c’est un gros morceau qui fait mal, croit Martin Fiset. Les logements ne sont pas abordables même pour des couples qui travaillent. Il va falloir légiférer. Je me suis fait raconter qu’un propriétaire mettait ses logements aux enchères. Il loue à celui qui donne le plus. Ça va être rendu ça le prix du logement pour les prochains. Ce sont des aberrations. »

On parle beaucoup du fait que l’itinérance se fait de plus en plus visible, mais l’itinérance invisible ne disparaît pas pour autant. L’itinérance invisible se caractérise par des gens qui alternent entre dormir chez des amis ou de la famille pendant un certain temps et faire appel à des ressources d’hébergement de façon ponctuelle ou encore par des gens qui s’isolent dans des endroits plus ou moins appropriés, particulièrement en zone rurale.

« Il y a plusieurs personnes qu’on n’avait pas vues avant qui dorment dans un camping, la forêt ou dans une roulotte non isolée », observe Sarah Jacques.

Pour sortir efficacement de la rue les itinérants qui doivent conjuguer avec d’autres problématiques, la solution se trouve, pour plusieurs intervenants de la Mauricie et du Centre-du-Québec, dans l’hébergement de transition.

Une collaboration essentielle

Un constat se dégage parmi les forces vives de la région: la collaboration entre les différentes ressources doit être au cœur des prochaines actions. « Il faut surtout inclure les gens qui sont touchés par l’itinérance, remarque Sarah Jacques de LaRue Bécancour. Il ne faut pas oublier la problématique, ils en font partie. Ce serait intéressant de regarder pour eux ce qu’il y a comme solutions. »

« On se plaît à rappeler aux gens que l’itinérance, ce n’est pas qu’un problème de lieu, c’est un problème de lien. On a des gens qui sont en situation de rupture sociale, qui ont vécu des traumatismes ou qui sont confrontés à différents enjeux, de santé mentale, de dépendance, donc c’est multifactoriel. On ne peut pas juste l’attaquer avec un angle soit hébergement, soit service. Il faut une prise en charge plus globale du phénomène », ajoute Pierre-Olivier Gravel, de Point de rue. 

Nicolet et Bécancour se mobilisent pour la Nuit des sans-abri

Le 20 octobre, plus de 40 municipalités au Québec, dont Bécancour et Nicolet, participent à La Nuit des sans-abri afin de sensibiliser la population à la situation d’itinérance, de pauvreté et de désaffiliation sociale qui concerne de plus en plus de personnes.

À Bécancour, l’activité prendra place du côté de l’Agora de Gentilly. De 17h à 21h, plusieurs petites activités en lien avec la Nuit des sans-abri seront proposées. Il y aura également un micro ouvert pour les gens qui auront envie de s’exprimer sur leur réalité.

À Nicolet, l’événement se déroulera au parc Marguerite-d’Youville à compter de 17h.

« Point de rue oeuvre sur les territoires de Trois-Rivières et de Nicolet, mais on a fait le choix de tenir l’activité du côté de Nicolet parce qu’on a souvent tendance à associer le phénomène de l’itinérance  aux grands centres urbains. Par contre, de notre côté, on constate que c’est tout aussi vrai en région ou dans les villages », note Pierre-Olivier Gravel.

Il y aura notamment une marche d’une trentaine de minutes dans les rues. La population pourra aussi participer à une œuvre collective. Une soupe sera servie en soirée et le comité organisateur a également prévu un micro ouvert pour entendre les témoignages.

« Je vais également faire un témoignage pour sensibiliser la population et faire comprendre la réalité sur le terrain, vulgariser ce qui se passe, mentionne Martin Fiset. Il y a beaucoup de préjugés qui sont véhiculés et on veut défaire ça. »

« Pour nous, c’est un grand pas pour faciliter les ponts avec la communauté, développer des services plus adaptés et favoriser la cohabitation, car c’est un phénomène qui est inconnu pour plusieurs et qui peut générer de la peur. C’est normal. L’être humain a peur de ce qu’il connaît moins. Faire baisser certains de ces préjugés et créer des opportunités de rencontre entre des personnes qui viennent de sphères sociales différentes, c’est aussi l’objectif d’événements comme la Nuit des sans-abri. C’est un rassemblement qui se veut plein d’humanité », conclut-il.

Le portrait a changé: ça touche plus M. et Mme Tout-le-Monde. Plus personne n’est à l’abri de ça avec la hausse du coût des loyers, de l’épicerie, de l’essence. On a des travailleurs qui se retrouvent à la rue»

Martin Fiset, travailleur de rue