Petits délices d’entrepreneurs aux grands coeurs
NICOLET. De l’amour, on est loin d’en manquer dans l’entreprise d’Audrey Rainville et de Claude Francoeur. Les Délices d’Audrey Rainville donnent sans compter depuis maintenant 5 ans, que ce soit de petits plats préparés, du café ou une oreille attentive. La dernière année a mis le couple à rude épreuve, mais il a réussi à se remettre sur pied grâce à sa ténacité et à un juste retour du balancier.
Auparavant, Claude était camionneur, mais il a dû quitter sa carrière à la suite d’un accident vasculaire cérébral (AVC). C’est alors Audrey qui lui a rappelé à quel point il aimait cuisiner et lui a suggéré de se mettre aux fourneaux.
« Mon rêve, c’était de faire comme on fait en Gaspésie, d’aller servir de petits plats aux personnes âgées ou à ceux qui apprennent qu’ils sont malades. C’est la mentalité gaspésienne, et ça, je n’ai pas peur de le dire! », révèle l’homme originaire de Pabos, municipalité maintenant fusionnée avec celle de Chandler, en Gaspésie.
C’est avec cette mission en tête que Claude et Audrey ont créé l’entreprise Les Délices d’Audrey Rainville, dans leur cuisine, avec quelques plats en Pyrex et une dizaine de clients. « C’était important que ce ne soit pas cher et que ce soit bon! », souligne Claude.
Après seulement deux mois, leur production était déjà trop grande pour qu’ils puissent demeurer dans leur petite cuisine. Après s’être installé quelque temps à La Visitation-de-Yamaska, c’est à Bécancour, plus précisément dans l’ancienne brocante à Saint-Grégoire, que le duo a fait son nid avant que l’entreprise ne prenne son envol pour de bon!
« On a donné notre couleur à la place. On a créé une section « donner au suivant » et le café était gratuit quand les gens venaient manger chez nous. C’était important pour nous », racontent Audrey et Claude. L’entreprise a quadruplé ses ventes en environ 1 an et demi, tout ça en popotant sur une petite cuisinière sans hotte, mais toujours avec autant d’amour.
Encore une fois, leur cuisine était devenue trop petite, et des modifications étaient nécessaires. « On ne voulait pas payer pour des changements dans un endroit qui était en location…, affirme Claude. Il fallait s’acheter quelque chose, il fallait agrandir! »
Avec l’aide de leur famille et de leurs amis qui croyaient en leur projet, Claude et Audrey ont réussi à amasser suffisamment d’argent pour mettre la main sur une petite bâtisse commerciale sur le boulevard des Acadiens, à la frontière de Nicolet et de Bécancour, dans laquelle ils ont également pu s’aménager un petit logis où vivre.
La croissance était exponentielle et les clients se multipliaient : popotes roulantes, garderies, entreprises. À eux deux, ils pouvaient confectionner jusqu’à 1500 petits plats préparés par semaine. Ils travaillaient du matin au soir, 7 jours sur 7.
Jusqu’au matin du 1er décembre 2021, moment où le malheur a frappé Audrey et Claude de plein fouet.
Un juste retour du balancier pour Claude et Audrey
Le 1er décembre 2021, à 5h du matin, Audrey Rainville se réveille et sent tout de suite qu’il se passe quelque chose d’anormal. Habituellement, dans leur chambre, on entend la machine à bruit blanc grâce à laquelle Claude s’endort et on peut entrevoir les rayons de lumière des réfrigérateurs par les interstices de la porte. Ce matin d’automne était pourtant noir et silencieux.
« On a ouvert la porte et on voyait comme des feux d’artifice dans la salle électrique, et il y avait une grosse poussière blanche », se remémore Audrey, encore sous le choc de ce réveil brutal.
Claude a enfilé un pantalon, Audrey, ses sandales, et ils ont traversé les tisons brulants qui jonchaient le plancher afin de s’extirper de leur maison et commerce qui étaient ravagés par les flammes. « On a tout perdu ce qu’on avait. Je n’avais plus de maison, plus de travail, plus de dentier! Tout était perdu! J’étais assis dans l’ambulance et je me disais que tout était fini, que notre vie était finie », raconte Claude, la voix pleine de chagrin.
« On avait seulement assuré la valeur de l’hypothèque… », ajoute-t-il.
C’est à ce moment que toute l’aide qu’ils ont apportée à leur prochain et tout l’amour qu’ils ont répandu autour d’eux leur ont été remis au centuple. « On a eu une inondation d’amour », témoigne Audrey et Claude en chœur.
« La Croix-Rouge paye un motel pendant une semaine. Avant même d’y arriver, deux amis nous avaient payé des nuits supplémentaires pour qu’on puisse y séjourner plus longtemps », raconte Claude, ému.
« Il n’y avait plus de place pour mettre les choses que les gens venaient nous porter! Je pense qu’on a de la pâte à dents pour 5 ans! », raconte le couple, amusé. « Je pense que je me suis racheté une paire de souliers depuis l’incendie, et c’est tout! », ajoute Audrey.
Certains de leurs clients les ont même contactés pour les rassurer que s’ils reprenaient du service, qu’ils seraient de retour eux aussi. Et ils le sont; Audrey et Claude ont retrouvé tous leurs clients. Dès le 12 janvier suivant, ils étaient installés dans la cuisine de la Maison diocésaine de formation, anciennement appelée Séminaire de Nicolet. L’endroit leur est offert à un prix modique, en échange du service traiteur pour les prêtres de la résidence!
Les Délices d’Audrey Rainville renaissent de leurs cendres
Les Délices d’Audrey Rainville sont plus vivants que jamais! Depuis le 18 juillet dernier, Audrey Rainville et Claude Francoeur sont propriétaires des Délices du centre-ville, une petite épicerie située sur la rue Notre-Dame à Nicolet. Les entrepreneurs souhaitaient avoir à nouveau pignon sur rue dans un local bien à eux, car le contrat avec la Maison diocésaine de formation aura une fin, tôt ou tard.
Il faut dire que le couple ne chôme pas! En plus de cuisiner encore 7 jours sur 7, Audrey et Claude ont plongé dans l’inconnu en prenant les rênes d’une entreprise comme les Délices du centre-ville. Ils sont maintenant à la tête d’une équipe de 12 employés. « Et ils veulent être payés la semaine prochaine! », lance Claude avec humour. Tout est à apprendre, notamment comment fonctionne le système de paye, ou encore comment faire affaire avec les fournisseurs.
Ils ne cachent pas qu’il y aura encore des larmes et des appels de détresse à l’ancienne propriétaire de l’épicerie, Karine Guévin, qui est encore présente sur place pour leur montrer à tirer les ficelles du métier, même si elle n’a plus aucune obligation envers le commerce.
D’ailleurs, lors de la première commande de Claude auprès des fournisseurs, il a commandé huit caisses de 12 conserves de tomates broyées, plutôt que huit conserves… « Ça se peut qu’il y ait un spécial sur la sauce à spaghetti bientôt! », s’exclame Claude en riant.
Une fois que Claude et Audrey seront rodés, ils prévoient l’ouverture officielle d’un nouveau commerce à leur image, même si l’épicerie demeure ouverte entre temps. « On veut que ce soit l’endroit où aller pour se faire un bon repas. On pourra s’y procurer une belle coupe de viande, une bouteille de vin, et on pourra même ramasser un petit plat préparé pour les enfants qui sont plus difficiles, comme un pâté chinois, et le tour est joué! », expliquent-ils. Ils souhaitent ajouter un service de pâtisserie haut de gamme, et Claude assure qu’une nouvelle sélection de vins fera son entrée. « Il n’y avait que deux ou trois bouteilles de vin que j’aurais accepté de boire avec un bon steak! », ajoute-t-il en riant.
Ils installeront également quelques tables bistro pour les gens qui attendent à la boucherie, et Claude précise bien que jamais il ne chicanera ses employés parce qu’ils placotent! « Parfois, c’est de ça que les gens ont besoin. Parler », assure Claude. Aussi, dès septembre, ils installeront une cafetière, et le café y sera servi gratuitement.
Donner sans compter
Depuis le tout début de l’aventure des Délices d’Audrey Rainville, l’entreprise est reconnue, oui pour sa lasagne ou son fameux ragoût à la Audrey, mais aussi pour sa grande générosité. Encore aujourd’hui, elle peut affirmer fièrement qu’il ne se passe pratiquement pas une journée où le couple n’a pas remis des petits plats gratuitement à des gens dans le besoin, en guise de soutien et de réconfort.
Lorsque la pandémie a frappé et que le couple s’est retrouvé avec des frigos plein à craquer, il était impensable pour lui de tout jeter. Audrey et Claude ont donc tout cuisiné et ont servi les gens qui se retrouvaient sans emploi devant eux, tout à fait gratuitement. Au bout de quatre jours, quand ils avaient épuisé leurs réserves, c’est la Fromagerie l’Ancêtre qui s’est manifestée en offrant aux Délices d’Audrey du fromage à cuisiner. Les viandes Rheintal ont fait une offre similaire, puis Bagel Saint-Grégoire a emboité le pas, puis Métro Saint-Grégoire… Pendant 15 jours, Audrey et Claude ont réussi à nourrir ainsi 263 familles.
« On l’a fait de bon cœur, juste parce qu’on avait le goût de le faire, sans attendre quoi que ce soit en retour », assure Claude. C’est pourtant comme ça que les gens se sont mis à arriver de partout pour acheter leurs petits plats, parce qu’ils avaient donné au frère, à la sœur, à la tante, au cousin. « Les gens nous ont remis ça de même. J’en parle et je deviens émotif! », lance Claude.
L’ironie dans tout ça, c’est qu’Audrey n’a jamais particulièrement aimé cuisiner. C’est Claude qui est derrière l’idée, les recettes et les chaudrons. « Je peux faire une sauce à spaghetti, parce que je la connais, mais inventer une sauce? C’est Claude qui fait ça, avoue Audrey. On me demande souvent mes recettes! Je leur réponds d’aller voir Claude! », ajoute-t-elle en riant.
Alors, pourquoi l’entreprise porte-t-elle le nom d’Audrey, si Claude est le chef derrière les fourneaux? Parce que Claude, fidèle à lui-même, continue de donner, le cœur et les yeux remplis d’amour pour sa Audrey. Alors que ce dernier a dû combattre la maladie à plusieurs reprises, il s’est assuré que son amoureuse ne se retrouve jamais devant rien s’il devait lui arriver quelque chose.
« Tout est déjà à elle, elle pourrait déjà me quitter. Mais elle serait folle de se priver d’un homme comme moi! », conclut Claude dans l’émotion et dans le rire.