Témoin de l’explosion du 7 septembre 1965
-Dossier spécial: Le pont Laviolette a 50 ans –
PONT LAVIOLETTE. «J’étais dans la barge devant nous mener au pilier en construction quand ç’a sauté. J’ai vu des travailleurs être éjectés dans l’eau et le caisson se déformer. Il a levé, puis est redescendu. Je ne comprenais pas ce qui venait de se passer.»
Gaëtan Lapierre en était à ses premières semaines de travail sur le chantier du pont Laviolette lorsqu’est survenue l’explosion qui a fait 12 morts et six blessés au pilier N-2, le 7 septembre 1965. Il avait 19 ans et c’était son premier emploi. Il oeuvrait alors comme dessinateur technique et surveillant de chantier. «C’est marquant. C’est une expérience que tu ne veux pas vivre.»
Il était tout juste passé 16h au moment de l’accident. Les travailleurs se préparaient à changer de quart de travail. Gaëtan Lapierre devait se rendre sur le pilier N-2 pour assurer la surveillance du chantier. Les plans ont bien évidemment changé. «Dans les minutes suivantes, on m’a demandé d’aller à l’entrée du chemin pour bloquer l’accès aux gens jusqu’à l’arrivée des policiers. Ça affluait; les gens voulaient voir, par curiosité ou sympathie.»
Dans tout ce branle-bas de combat, pas le temps de réfléchir à quoi que ce soit. «Tu obéis aux ordres. C’est le lendemain et le surlendemain que tu commences à réaliser ce qui s’est passé. Mais certaines choses demeurent encore floues dans ma tête.»
Gaëtan Lapierre se rappelle avoir vu passer les corps des victimes quand ils ont été sortis par la suite. «C’était très émotif. Ça a pris presque un an, de mémoire, avant que ne soit sorti le dernier», témoigne-t-il.
Il ne connaissait pas personnellement les victimes, mais il avait eu à les côtoyer à titre de surveillant de chantier. «Je revois certains visages… Ça vient encore me chercher, surtout quand je pense aux familles.»
La suite
Le chantier a été arrêté durant six mois pour laisser place à une enquête. Pendant ce temps, ça fourmillait dans le bureau-chef, car il fallait revoir la méthode de travail. Gaëtan Lapierre a été l’un des dessinateurs à travailler sur les nouveaux plans de construction.
«Rien de tout ça ne se parlait dans la roulotte de chantier. Les assureurs nous questionnaient, mais on n’avait pas le droit de dire quoi que ce soit ni de sortir les plans, sauf si le patron nous le demandait. On ne pouvait rien divulguer de ce qu’on apprenait.»
C’est dans ce climat qu’a été décidée la suite des choses. Plutôt que de refaire descendre des travailleurs au fond du caisson pour ramollir le lit du fleuve et en extirper la vase, on ferait le même travail à l’aide de grues et de mâchoires (un genre de pince).
«C’était plus long et plus compliqué comme travail, admet Gaëtan Lapierre. Les grues étaient sur des barges et suivaient le mouvement de l’eau. Ce n’était pas très stable. De temps en temps, elles pliaient. C’était quand même dangereux! Mais, de mémoire d’homme, il n’y a pas eu d’accident.»
De deux à quatre grues, tout au plus, travaillaient sur le chantier, selon le souvenir de M. Lapierre. Cette nouvelle méthode de travail l’amenait alors à se rendre aux piliers au maximum une fois par semaine. Le reste du temps, il se chargeait principalement de vérifier la qualité du béton livré sur le chantier. Celui-ci devait avoir une capacité portante bien précise, selon la recette établie par les ingénieurs.
«Quand la bétonnière arrivait, je faisais couler un peu de béton dans un bac, puis j’en prenais une pelletée pour le mettre dans un cône servant à en évaluer le niveau d’affaissement. Si ça ne répondait pas à la mesure requise, on retournait la bétonnière», raconte M. Lapierre, qui se souvient de cette époque comme étant très intense.
«J’ai souvent travaillé des 48 heures en ligne et fait régulièrement des semaines de sept jours. Il fallait être là, car les bétonnières arrivaient les unes après les autres. À l’époque, les pizzas commençaient, alors on en faisait venir pas mal!», rigole-t-il.
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